Toujours innovant, le premier pure-player français a lancé fin mars son site mobile m.rue89.nouvelobs.com et entamé sa mutation vers le full responsive design pour coller à la tendance haussière de lecture de la presse sur tablettes et smartphones. Une mutation technique et graphique qui s’accompagne d’une réflexion en profondeur sur les contenus et sur l’identité des sites d’informations et des journaux. Décryptage avec Pierre Haski, cofondateur et directeur du titre.
P.H: La 1ère étape du changement a été lancée avec la création de notre site mobile sur lequel l’internaute atterrit aujourd’hui soit en le cherchant spécifiquement via les moteurs de recherche, soit par le biais de liens sur les réseaux sociaux. Le processus s’achèvera, dans les prochains mois. On a créé des gabarits et des formats adaptés à la lecture sur mobile et adapté notre outil de production de l’information aux changements de pratique. A terme, le lecteur verra exactement la même chose, quelle que soit la manière dont il se connecte au site : depuis son écran d’ordinateur, sa tablette ou son téléphone. Notre site sera plus épuré, plus zen. Avec les années, il avait pris des allures de sapin de Noël. Ce ne sera plus le cas, car c’est ce qu’exige la lecture sur mobile. Actuellement, nous avons environ 30% de lecteurs sur mobile. La tendance est à la hausse : d’ici un an, nous serons tous à 40 ou 50%.
Quel impact a ce changement technique et graphique sur les contenus journalistiques ?
P.H:Nous avons introduit des nouveautés et cassé le « rubriquage » classique de l’information en catégories politique, société, culture… Cela s’est fait de manière collective, avec l’ensemble des collaborateurs, lors de déjeuners parfois arrosés, tous les 15 jours, où chacun arrivait avec ses idées. On a par exemple introduit la notion de hasard : en cliquant sur cette rubrique, le site vous sort un article pris au hasard dans les archives, depuis 8 ans. Cela peut faire remonter des choses qu’on avait oubliées ou qui donnent une résonance particulière à l’actualité. C’est un peu la loterie de l’information…
Mais ça casse complètement le rapport au temps d’un site d’information ?
P.H: L’un de mes mots-fétiche, c’est la sérendipité. Le fait de découvrir des choses qu’on n’attendait pas. Avant on achetait un journal pour avoir les résultats du foot, par exemple, et en le feuilletant, on tombait par hasard sur un article sur la culture du petit pois. Ce n’est pas exclusif de l’information au quotidien. C’est un petit plaisir en plus.
Est-ce que ça change l’exercice du métier de journaliste ?
P.H: Le travail du journaliste est en perpétuel questionnement et il est plutôt tiré vers le haut que vers le bas dans les titres qui font des choix comme les nôtres. Au début d’internet, on est parti dans une course de la vitesse : le but était de mettre l’info en ligne le plus vite possible. Le résultat a été une uniformisation et une banalisation de l’information qui a détérioré son écosystème. Aujourd’hui, on revient à des choses plus qualitatives et plus spécifiques. Regardez la nouvelle version du site de l’Obs : on met en avant ce qui est original, créatif… Plutôt que de répéter une information dont tout le monde est saturé.
Nous avons créé une rubrique « parti-pris », avec des éditoriaux, des tribunes et des engagements. Il y aussi une rubrique « longs formats ». Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est plus les modes de lecture que les thèmes classiques de découpage de l’information. L’info basique, tout le monde l’a. Si on vient chez nous, c’est qu’on cherche autre chose : un éclairage, un décryptage, un reportage…
Les journaux reviendraient-il à plus de personnalité ?
P.H: Oui, je le crois. C’était un des problèmes de la presse, la perte d’identité. Au sein d’un groupe comme l’Obs, racheté par Le Monde, avec ses 7 titres, il faut que chacun soit bien spécifique pour ne pas doublonner.
Nous avons ainsi décidé de nous recentrer sur l’une de nos dominantes depuis notre lancement : l’impact de la révolution numérique dans nos vies. Ce qui nous permet de parler de tout, d’éducation, de sexe, d’économie ou de la révolution à Hong Kong, et de rester au coeur de l’actualité comme dans le Projet de loi Renseignement avec la question des algorithmes et des « boites noires » chez les hébergeurs. C’est un enjeu fondamental de notre changement d’époque, et il nous a semblé passionnant et pertinent de regarder le monde sous ce prisme.
Pourquoi choisir un site mobile plutôt que l’appli, alors que les gens ont pris l’habitude des applis sur leurs smartphones ?
P.H: Nous ne renonçons pas à nos applis, justement parce qu’une partie des lecteurs a pris l’habitude de s’y rendre. Mais nous avons à faire aujourd’hui à une part croissante de lecteurs qui suivent des liens baladeurs sur les réseaux sociaux ou dans les échanges avec leurs amis, et se retrouvent « par hasard » sur les différents sites. C’est pour eux que nous avons créé le site mobile.
La pub sur mobile : qu’est-ce que ça donne ?
P.H: La pub a toujours un temps de retard sur les usages. La pub web a mis du temps à décoller, et il en va de même sur le mobile. Idem sur le plan technologique, le responsive design arrive lentement dans les créations, plus lentement que son introduction dans les différentes plateformes. Mais la tendance est là, et la pub suit. Il faut trouver les bons formats, éviter de saturer le lecteur encore plus vite que sur le web, nous espérons que les régies sauront y faire face avec créativité et … subtilité.
Nous remercions Pierre Haski pour le temps qu’il nous a accordé lors de cette interview, et souhaitons tout le succès qu’il mérite au site mobile de Rue 89.
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