Les États-Unis sont particulièrement fiers de leur 1er amendement permettant notamment la liberté de culte et d’expression. Ils en usent et en abusent.
Aucune avancée sociale dans ce pays ne se fait sans avoir été l’objet d’un débat houleux entre républicains conservateurs et démocrates libéraux. Chaque citoyen est invité à y participer et doit choisir son camp entre le « pour » et le « contre ».
Dernier exemple en date, le mariage homosexuel.
L’actuel président Barack Obama a fait une déclaration subtile mais réfléchie à ce sujet : il est pour… mais cela n’engage que lui, et pas son bord politique. Soit.
Les réseaux sociaux américains sont quant à eux bourrés de messages partisans sur la question du mariage homosexuel, mais jusque là rien de différent par rapport à chez nous.
Le débat devient dérangeant quand les marques se mettent à devenir partisanes et choisissent une position claire sur le mariage homosexuel.
Un biscuit aux couleurs de l’arc en ciel
Premiers remous quand la marque de biscuits Oreo célèbre la gay pride en juin dernier avec un visuel tout à fait explicite sur sa page Facebook. Appels au boycott de la marque et de tous les produits distribués par Kraft foods (tant qu’à faire) d’un côté, soutiens dans la démarche de l’autre. Véritable prise de position de la part d’Oreo ? Le doute est permis, d’une part parce que la photo compromettante a été retirée de la page fan, d’autre part parce que la marque a pour habitude de surfer sur l’actualité (elle a même fêté la prise de la Bastille le 14 juillet dernier avec un biscuit tricolore !).
Avec l’enseigne de fast-foods Chick-Fil-A en revanche, le doute n’est pas permis. Le petit fils du fondateur de l’enseigne – toujours familiale – l’a déclaré lui-même ce mois-ci :
« Nous faisons la promotion de la famille – telle qu’elle est définie dans la Bible. Notre entreprise appartient à une famille et est dirigée par une famille, dont les hommes sont restés mariés à leur première épouse. Et nous remercions le Seigneur pour ça. […] Nous savons que ce n’est pas une position soutenue par tous, mais, merci Seigneur, nous vivons dans un pays où nous pouvons partager nos valeurs et agir selon les préceptes de la Bible. »
Coup double ! Chick-Fil-A s’assure à la fois le soutien des chrétiens et des conservateurs (qui sont souvent la même personne). Évidemment, dans un pays où un simple biscuit peut créer une polémique nationale, cette déclaration n’allait pas rester sans suite.
Les activistes de la cause anti-gay se sont regroupés sur Facebook pour lancer l’événement « Chick-Fil-A appreciation day » prévu le mercredi 1er août. Lancé par Mike Huckabee, un membre du parti républicain fraîchement recalé de la course à la présidence, cet événement a regroupé près de 700 000 participants… qui prévoyaient d’aller prendre leur repas dans un des 1 600 Chick-Fil-A du pays le 1er août.
Un succès. En témoignent les nombreuses photos, vidéos et reportages sur les files d’attente interminables devant les restaurants de l’enseigne. La figure emblématique de ce mouvement ? Ni plus moins que Sarah Palin, ex-candidate à la vice-présidence des États-Unis, qui pose fièrement avec son mari, sandwich à la main et a publié le cliché sur sa page Facebook.
Aussitôt, la riposte. Des milliers de personnes s’inscrivent à l’événement « Kiss in » et prévoient de se rendre dans un restaurant de l’enseigne pour y embrasser une personne du même sexe. Là encore, un succès. Les photos circulent, les médias relaient, les réseaux commentent… Et manger un filet de poulet pané entre deux tranches de pain (ou non !) est devenu un acte de revendication politique.
Rosa Parks, qui a bravé l’interdit pour refuser la ségrégation et le racisme, n’a qu’à aller se rhabiller.
Pro VS Anti : 1 point partout, la balle au centre
Après tout, faire passer ses opinions politiques par son mode de consommation n’a rien de surprenant dans la nation où est né le libéralisme.
Mais dans cette histoire, qui sort vainqueur ? Les militants de la cause gay ou ceux qui défendent les valeurs traditionnelles de la famille dictées par la bible ?
Faut-il compter le nombre de sandwiches vendus depuis le 1er août et le comparer au nombre de sandwiches vendus sur la même période l’année précédente ? Compter le nombre de photos postées pour l’un ou l’autre des deux événements ? Faire une revue des tweets et statuts Facebook publiés sur le sujet pour en définir une tendance ?
Pour Gregory Ferenstein, journaliste américain spécialisé en technologies et société, les réseaux sociaux ne reflètent pas l’ensemble de l’opinion publique.
D’une part parce que les jeunes sont en sur-représentation sur les réseaux sociaux et ils s’expriment plus et sur bien plus de sujets que leurs ainés. D’autre part parce qu’on estime que les conservateurs sont globalement moins enclins à adopter les réseaux sociaux que leurs adversaires les libéraux.
Si une simple revue du web peut mener à croire que la prise de position de Chick-Fil-A est largement condamnée, on est loin d’avoir une cartographie de ce que pense la société américaine. Rappelons que les derniers sondages évoquent 54% de la population pour le mariage homosexuel et 42% contre. La marge de manœuvre est faible.
Reste que l’enseigne bénéficie d’une part de voix monumentale dans cette histoire : selon Google tendances, les recherches pour « Chick-Fil-A » sont passées de l’indice 14 à l’indice 100 (sur une base 100) en moins de 2 semaines.
Un bad buzz pour la marque ? Pas vraiment. Si elle se met potentiellement à dos la moitié de la population américaine, elle s’assure la fidélité de l’autre moitié, dans un pays où les enseignes de de fast foods sont aussi nombreuses que les variétés de fromages en France.
En guise de conclusion, une courte vidéo qui en dit long sur le rapport des américains aux marques, aux opinions personnelles, au boycott… et à l’utilisation des outils sociaux pour (dé)servir une cause.
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